Article du Quotidien sénégalais « Le Soleil »

Article du Quotidien sénégalais « Le Soleil » – 03 juin 2001

Photographie – Dago expose « ses » femmes à la Biennale de Venise

Des femmes en chair et en … couleurs. Un morceau de voile sur le corps, dans une posture qui traduit une fausse désinvolture. Des mèches en bataille, l’allure offrant au vide un corps expressif, des coups de peinture sur une silhouette enduite d’argile de Sébikotane*. C’est cela “ Terre Femme ” d’Ousmane Ndiaye Dago. Cet album reflète l’option artistique de ce graphiste, designer et photographe au feeling bien iconoclaste. Il jette la peinture et la sculpture dans les bras de la photographie. Ce projet artistique lui a valu de participer à la prochaine Biennale des Arts de Venise, du 6 juin au 5 novembre prochains. Dago est le deuxième Sénégalais, après le regretté plasticien Moustapha Dimé, à trouver place à ce banquet des artistes. “Cet événement est le top des tops. Il rehausse la signature”, précise-t-il. “ Terre Femme ”, son œuvre, trônera au “Plateau de l’humanité”, thème général de l’expo de Venise et lui, sera logé à la section “ Plate-forme de la pensée ”. Dago aime bien les silhouettes de femmes. Artistiquement. Il les enduit d’argile, les peint aux multiples couleurs et les mitraille de ses de flashes. Ses œuvres sortent du cadre de la simple photographie. Les aspects picturaux et morphologiques campent la sculpture et la peinture.

LA PHOTO, UN ART ?
L’artiste, au bout d’une quête d’identité créatrice, a mûri l’idée de créer un alliage des trois modes d’expression artistique. Un coup de génie assez révolutionnaire. “ J’ai constaté que, quand on parle d’art, 97 % des artistes sont des peintres et 3 % des sculpteurs. Mon problème est que l’on sache que l’art graphique existe aussi. A un moment, j’ai introduit la photo. C’était difficile car, au Sénégal, on n’achète jamais la photo en tant qu’œuvre d’art. Dans les maisons, c’est plutôt la photo du marabout ou de la famille. La photo n’est pas considérée comme de l’art ”, commente-t-il. Au début, cette remarque l’a fait réfléchir sur un concept qui ramasse celui de peinture et de sculpture. “ J’ai pris un élément que tout le monde regarde, la femme. Lorsque quelqu’un regarde ma photo, il pense à une sculpture ou à une peinture. C’est devenu de l’art. J’ai voulu que l’on dise, au Sénégal, que la photo, c’est de l’art. L’Europe a reconnu cette conception de dimension internationale ”, explique Dago. Chez lui, les grandes dates se chevauchent. Outre Venise, il va participer, le 29 de ce mois, à l’exposition internationale de Barcelone avec comme thème, “ Afrique : l’artiste et la ville ”. Il y sera avec deux autres Sénégalais, Viyé Diba et Kan Si. Du 15 juin au 30 septembre prochains, il retrouvera son sujet de prédilection, le corps, à la Biennale de Valencia, en Italie, sur le thème : “ Le corps de l’art ”. Par le passé, il a participé à la Biennale de graphisme et de design de l’ex-Tchécoslovaquie et à une expo photos en Hollande.

LE FEELING ET LES NORMES
Le succès de ses silhouettes de femmes s’explique, selon lui, par le feeling. “ Nous avons le feeling que les toubabs (les Blancs : NDR) n’ont pas. Ils viennent chez nous chercher ce feeling : cars rapides, objets de récupération, etc. ”, dit Dago. La création en terre africaine ne doit pas tomber dans le piège du refus du progrès, précise-t-il. “ En Afrique, nous avons le feeling sans l’école ”, analyse le photographe. “ Il faut que nous allions à l’école pour savoir qu’il existe trois couleurs primaires, des couleurs secondaires, des couleurs chaudes, des couleurs froides, etc. ”, poursuit-il. Après les Beaux-Arts de Dakar, Dago a séjourné à l’Académie des Beaux-Arts d’Anvers (Belgique) d’où est sortie une sommité mondiale de l’art, Van Gogh.
L’université de Chicago (Etats-Unis) lui a consacré un livre, “ Public Culture ”, paru l’année dernière. En octobre, un nouveau livre parlant de lui et de ses œuvres devrait être dans les rayons. L’éditeur est Giampaolo Prearo, un Italien. Ce document sera préfacé par Achille Bonito Oliva, critique d’art et directeur de la Biennale de Venise. Dago a également réalisé les logos de grandes sociétés de la place et des pochettes de quelques musiciens dont Alioune Mbaye Nder et Youssou Ndour.

ENTRETIEN REALISE PAR HABIB DEMBA FALL

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